Truant School [visions of clouds]
Since 2020, the Truant School [visions of clouds] has gathered artists, architects, sociologists, scientists, musicians, dancers, philosophers and researchers from various fields of knowledge to reflect, discuss and create a shared body of work around the notion of clouds. It is an iterative and collective process that aims to grasp the contemporary cloud condition and its many facets. Curated by the architects, artists and educators Tiphaine Abenia, Max Bondu, Myriam Treiber and Uri Wegman, it wishes to generate multi-directional formats of knowledge, teaching and action.
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La Truant School est une plateforme de recherche et d’intervention visant l’expansion de nos formats et outils de connaissance, d'enseignement et d'action. Son premier terrain de réflexion est le nuage.
TRUANT SCHOOL
Une école buissonnière se vit au dehors et se pense à plusieurs, elle a l'intensité du moment présent et la chaleur d’une nuit d'été. Traduit en langue anglaise, le monde buissonnier perd de son couvert sauvage, on parle alors de “Playing Truant”. Ce déplacement linguistique gagne toutefois dans l’action du plaisir -il s’agit de jouer. S’immisce aussi le goût d’un interdit, d’une transgression : de truant au truand, il n’y a qu’un pas que l’enfant vagabond franchit lorsqu’il déserte les bancs de l'école. Fugace, il disparaît, mais c’est pour reconstruire ailleurs les conditions de son rapport au monde -dans une forêt, près d’un champ ou d’une rivière.
OPENING ACT
Nous avons initié la Truant School en 2020, incité.e.s à imaginer des temps et des espaces parallèles pour nos recherches et nos pratiques pédagogiques, à penser d'autres modes d'être et d'agir ensemble. Une perception nouvelle de la réalité s'était alors imposée, quelque chose s'était brisé dans notre façon de vivre et de ressentir l’espace autour de nous. Une tempête de sable dans le désert bloquait l'Ever Given et ses vingt-mille conteneurs dans le canal de Suez. L’Ouest américain se réveillait sous un ciel orange apocalyptique, issu des incendies ravageant l'État de Californie. Le port de Beyrouth explosait à la suite d’une déflagration déclenchée dans un entrepôt abritant une réserve de nitrate d’ammonium. George Floyd mourrait asphyxié, maintenu plaqué au sol sous le genou d’un policier blanc. Une pandémie était déclarée, la moitié de l’humanité serait bientôt confinée.
L’air était devenu presque solide, saturé, tangible, chargé de gouttelettes, de germes, d’informations et de revendications. Les fantasmes d’abstraction, de neutralité et de transparence liés à l’espace nous entourant s’évanouissaient. Ils laissaient place à un environnement politique, empli d’une multitude de nuages. Face à lui, les notions architecturales séculaires telles que la frontière bâtie, la fixité géométrique, l'identité formelle, l'autonomie disciplinaire ou l’expression matérielle apparaissaient bien faibles et inopérantes pour approcher le monde critique contemporain.
NOUVELLE PERCEPTION
Faisant une apparition dans une émission de fin de soirée, Borat Sagdiyev -interprété par Sacha Baron Cohen- parcourait frénétiquement le plateau, armé d'une loupe et d’une poêle à frire. Scrutant l’air l’entourant, sa mission visait à y repérer des êtres microscopiques qu’il s’agirait ensuite d’exterminer. Alors que la loupe et la poêle sont paradigmatiques d’une histoire liant violence et dispositifs de vision ; cet appareillage nous parle aussi d’une nécessité de renouveler nos outils de perception et de représentation.
Nous parlons du nuage au pluriel, d’une myriade de particules hétérogènes interagissant les unes avec les autres. Nuages de radiations, de champignons, de pollen, de vapeur d'eau, d'insectes, d'iodure d'argent, de poussières d'étoiles, d'herbicides, de signaux électromagnétiques, de traînées de condensation, etc. Les nuages nous entourent, nous traversent. Ils relèvent de forces dynamiques, sont les fantômes d’un formalisme statique, les anti-héros d’un discours de la matérialité stagnante. Il nous revient, en tant qu'architectes, artistes, scientifiques ou habitant.e.s, d’apprendre à les observer et à les interpréter, pour imaginer les conditions d’une vie ensemble.
NUAGE POLITIQUE
Le vide n'existe pas. Et pourtant, les logiques extractives et les structures d'exploitation revendiquent sans cesse plus d’espaces vides qu’il faudrait remplir, de lieux qu’il faudrait rentabiliser, de territoires qu’il serait bon d’exploiter. Le mythe de la vacuité est bien pratique : sans valeur, sans nom, ni habitant.e, ce qui est supposé vide n’appelle ni attention, ni soin. S’opposant au vide, le nuage confère, quant à lui, une multitude de propriétés à l'espace (mécaniques, chimiques, bactériologiques, électromagnétiques, etc.). Il témoigne de forces invisibles et de courants instables. Il invite à lire notre environnement sociopolitique comme un agencement de strates, de gradients d’intensité et d'interactions. L’agence Forensic Architecture parle ainsi de « airquakes » pour évoquer cette nouvelle donne où l’environnement est devenu la cible d’événements atmosphériques destructeurs. Notre conception spatio-temporelle s’en voit transformée, glissant vers une compréhension plus fluide des choses. L'idée de frontière, en particulier, y devient caduque. Ce retournement invite à problématiser les enjeux de propriété, fondamentalement distincts de ceux d’usage. Il pousse également à la définition de nouveaux registres de responsabilité. À qui appartiennent les particules radioactives dispersées lors d’accidents nucléaires ? À quelles formes d’extractions assiste-t-on avec la financiarisation du ciel (exploitation de volumes cubiques d’air situés au-dessus de bâtiments) ? Quelles formes de manipulation de la mémoire individuelle et collective notre civilisation des données est-elle en train de façonner ?
NI ENSEIGNANT.E, NI ÉTUDIANT.E
Notre exploration du nuage est polymorphe et prend la forme de projets collaboratifs, de conférences, d’ateliers et d’appels ouverts à participation. Chaque été, nous invitons en particulier une dizaine de participant.e.s pour un séjour de 10 jours, à bermuda, aux pieds du Jura. Il s’agit d’un temps de vie en communauté dédié à la transmission, à l’investigation et à la mise en résonance des recherches de chacun.e.s. Nous émettons et recevons en flux continu, échangeons des informations, des gestes et des postures. Discussions, repas et présentations de recherches balancent des temps d’observation, d’expérimentation et de repos. Une constellation se crée. Pendant ce temps ensemble, il n’y a ni professeur.e, ni étudiant.e. Aucun cours n’est donné, seules des expériences sont partagées, resituant l’action au cœur des échanges. Cette expérience estivale s’apparente à une collision d’individualités : l’énergie émise dans l’intensité de cette rencontre continue de se diffuser dans les mois qui suivent, articulant de nouvelles discussions et collaborations. Un appel à artefacts a, par exemple, été lancé et rassemble aujourd’hui une collection hétéroclite de plus de 50 objets. Il propose, aux observat.rices.eurs de nuages, de nous envoyer par la poste le résultat de leur capture. Un appel à artefacts physiques pour tenter de saisir l’insaisissable ? Voilà une proposition paradoxale, qui voisine même avec l’absurde. Un registre que nous investissons en fait régulièrement. Les limites (même annoncées) possèdent un potentiel créateur, leur mise en exergue nous aide à penser avec les contradictions qui animent notre monde.
DISTORSION
Tout comme l’univers dans lequel nous vivons, les limites définitionnelles du nuage ne cessent de s'étendre – résultat de notre rapport à la découverte, pragmatique et souvent inductif. Depuis les premières formations atmosphériques, décrites par le pharmacien anglais Luke Howard comme étant des objets discrets, nous avons progressivement étendu notre cadre d’étude pour couvrir d’autres conditions d'entre-deux insaisissables, dynamiques, non-visibles et souvent non-atmosphériques. Avec l’expansion de l’idée même de site, se pose la nécessité de repenser nos outils d'observation et de représentation. Le philosophe Hubert Damisch, dans sa Théorie du Nuage, montrait par exemple comment l’usage de la perspective avait activement participé à une neutralisation de l’immatériel, à une disparition pure et simple de l’atmosphère. En travaillant avec des chorégraphes, des écrivain.e.s, des danseu.se.rs et des programmeu.se.rs, la Truant School fait un pas de côté pour, peut-être, mieux voir. Nous avons notamment investi des systèmes notationnels spécifiques tels que le scénario ouvert, le script et la partition. Utilisés en performance, ces systèmes visent à articuler des gestes et interventions à venir, tout en laissant une grande place à l'indétermination et à l'improvisation. Chaque partition n'est alors plus un produit final, mais s’apparente davantage à une structure-support qu’il s’agit de remettre en jeu et de réinterpréter. Dans ces opérations de traductions, nous suivons avec enthousiasme les distorsions et les déplacements qui résultent d’un travail itératif et collectif.
SOUS LES RADARS
La structure buissonnière résiste à l’élaboration de grandes anticipations. Si l'architecture, comme discipline du projet, désigne l’action de jeter en avant, la Truant School en déstabilise alors certains piliers. Plus de grands gestes, d'anticipations tonitruantes, mais de petits sauts et des ajustements dans l'ici et le maintenant. Parfois imperceptibles, souvent informels.
Sans attache, l’école buissonnière ne possède pas de statut institutionnel formalisé. Difficile à financer via les réseaux classiques de demandes de subventions, elle tire toutefois de cette autonomie le maintien d’une distance critique d’observation et de détection, la liberté du piétinement lié à la recherche, le détachement des injonctions à la rentabilité et le plaisir d’explorer des contextes mouvants et mal définis. Un imaginaire peut se déployer librement, sans que l'inertie des structures préconçues n’en restreigne les possibilités. Fugitive, la structure buissonnière émerge, se déplace et change avec rapidité. C’est avec la même évanescence qu’elle disparaîtra.
FADING ACT
Les résultats sont fragiles et fragmentaires, ils se sont pour la plupart dissipés dans l'air mais quelques traces demeurent. Ce numéro de Plan Libre est une nouvelle tentative de chorégraphier ces traces, recueillant les pas d’une danse collective.